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Certains commerces à Reims et Tinqueux qui vendaient du CBD, la molécule non psychotrope du cannabis ont dû fermer l’année dernière. D’autres, comme à Saint-Dizier ou Troyes réussissent à rester ouverts. En cause, le flou juridique qui perdure en France autour du commerce de CBD.

Le 20 janvier 2020, une décision de la cour d’appel de Reims a relaxé un gérant rémois qui vendait des e-liquides pour cigarettes électroniques à base de CBD. Sur son compte facebook, l’avocate parisienne du prévenu maître Ingrid Metton, spécialiste des affaires de cannabis, parle d’une première en France.

Parmi les nombreuses affaires similaires en France, c’est une première car :

  1. L’ homme n’a pas été déclaré coupable en appel.
  2. Il n’y a pas eu de pourvoi en cassation du ministère public.

D’après maître Metton, si cette décision ne peut pas créer un précédent juridique, car elle n’a pas été prise en cassation, « sur le fond, cela revient tout de même à autoriser à demi-mot la vente de produits dérivés du cannabis à base de CBD avec un taux légal de 0,2% de THC ».

Elle poursuit: « cette décision de la cour d’appel de Reims pourrait être suivie dans des affaires similaires par d’autres cour d’appel et par effet boule de neige, faire cesser toute poursuite des personnes qui ouvrent des commerces autour du chanvre ou du cannabis ».

Pour rappel le CBD ou cannabidiol est un composant du chanvre (essentiellement de l’espèce « Cannabis Sativa L »). C’est une molécule non psychotrope, contrairement au THC. On lui prête des vertus thérapeutiques.
Or dans l’affaire rémoise, le gérant était poursuivi pour infractions à la législation sur les stupéfiants.

Le CBD, affaire de stupéfiants ?

Ainsi ces deux dernières années, dans la Marne, deux établissements rémois, dont l’ Herb secret’s et un établissement à Tinqueux le Indoor garden’s qui vendaient des produits à base de CBD ont vu leur stock saisi par la police et analysé. Au total, cinq personnes avaient été placées sous contrôle judiciaire puis convoquées devant la justice. Aucune mesure de fermeture des établissements n’avait été prise par le procureur de la République.

Mais les deux commerces rémois ont depuis fermé leurs portes et sont allés jusqu’au procès. Seul l’un des deux établissements rémois a obtenu une relaxe définitive en appel fin janvier. Une fameuse première. Alors quelle est la législation en France en la matière ? Elle est plutôt complexe et surtout floue.

Pour résumer de la manière la plus simple, en France, seul le commerce de graines ou de fibres de chanvre brutes, non transformées contenant un taux légal de THC inférieur à 0,2% est autorisé dans l’industrie (isolation des maisons en fibre de chanvre, textiles, vêtements par exemple). La France interdit le commerce de la fleur même si elle contient un taux légal de THC inférieur à 0,2%.

D’après l’article R. 5132-86 du code de la santé publique« la culture, l’importation, l’exportation et l’utilisation industrielle et commerciale de variétés de cannabis dépourvues de propriétés stupéfiantes ou de produits contenant de telles variétés peuvent être autorisées, sur proposition du directeur général de l’agence, par arrêté des ministres chargés de l’agriculture, des douanes, de l’industrie et de la santé. » Cela signifie par exemple, qu’une huile de chanvre issue des graines d’une agriculture française certifiée, garantie d’un taux de THC inférieur à 0.2% est légale. Tout le reste a priori serait donc alors interdit?

L’avocate dénonce un manque de positionnement du gouvernement français en la matière depuis 6 ans. « Le gouvernement pourrait prendre un arrêté ministériel, pour requalifier ces affaires de commerce de CBD mais il ne le fait pas. Pourquoi? Alors que même l’Organisation Mondiale de la Santé, ne la considère plus comme une substance qui doit être contrôlée », s’étonne Ingrid Metton.

Sur le site de l’OMS, il est effectivement précisé : « l’OMS a officiellement recommandé, le 14 décembre 2017, que le cannabidiol (CBD), un composé du cannabis, ne soit pas classé au niveau international comme substance contrôlée (…). La non-classification d’une substance signifie qu’elle n’est pas placée sous contrôle international strict, y compris pour la production et l’approvisionnement. La définition de son statut juridique dans les pays relève des législateurs nationaux. Certains pays ont assoupli les réglementations relatives au cannabidiol afin de considérer les produits qui en contiennent comme des produits médicaux. Il s’agit notamment de l’Australie, du Canada, des États-Unis d’Amérique, du Royaume-Uni et de la Suisse. »

Commerce de CBD: l’importance de la ville

Cette spécialiste des affaires liées au CBD précise aussi que certaines zones géographiques- villes ou régions de France- sont plus ou moins clémentes, plus ou moins sévères. « Tout dépend des autorités sur place. A Marseille par exemple, tous les entrepreneurs de commerces de CBD sont tranquilles. »

A Saint-Dizier, en Haute-Marne, un commerce a ouvert en toute légalité il ya plusieurs semaines. Il se définit comme un salon de thé- CBD shop puisqu’ il vend des cafés, des tisanes, divers produits locaux et des fleurs séchées de CBD, des huiles, ou encore des e-liquides à base de CBD légal. Depuis son ouverture, il n’a pas du tout été inquiété.

Ingrid Metton sait de quoi elle parle, c’est elle qui a défendu et suivi la toute première « affaire » de ce genre : le procès « Kanavape » à Aix-en-Provence. Pour rappel, en janvier 2018 deux inventeurs d’une e-cigarette au cannabidiol ont été condamnés à de la prison avec sursis pour « allégations thérapeutiques. En appel, les juges  d’Aix-en-Provence ont considéré que « le droit français était contraire au droit européen sur la libre circulation des biens et des marchandises ». Les juges ont également demandé que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) se prononce sur l’affaire. Sa réponse, attendue à la fin du mois de mars, pourrait inciter le gouvernement à clarifier la législation sur le commerce du CBD.